Rencontres de l’écoterritorialité – Première édition – Clermont-Ferrand, les 12 et 13 octobre 2017

Luc MAZUEL, Géographe, VetAgro Sup

Introduction des travaux – 12 octobre 2017


Ne pas laisser le sens s’absenter

« Rencontres », c’est le terme qui s’est imposé à nous pour vous réunir, dans une forme qui vise donc le partage, qui cherche autant les illustrations concrètes portées par la créativité des citoyens, des entreprises, des territoires que la prise de recul, par la présence de nos invités et votre participation active, tout cela afin de dessiner les contours de ce terme : « écoterritorialité ». Car c’est un terme peu, utilisé même si des scientifiques comme Nicolas Buclet, ici présent, le questionnent, en cousinage, sous la forme de l’écologie territoriale.

Alors, on nous a dit, mais au fond, c’est le développement durable… que vous rebaptisez ainsi… D’emblée, et je pense que nos débats le montreront, je ne le crois pas. Les auteurs, tel Eloi Laurent, le disent clairement. Le développement durable, institutionnalisé, mis en grilles d’évaluation, galvaudé par un sur-usage institutionnel, est devenu un « concept mou ». Dans lequel, d’ailleurs la traduction de l’anglais « sustainable » en soutenable montre bien une forme de contentement autour du minimum acceptable…

Alors on nous dit aussi, mais il y a les villes et territoires en transition. Nous disons oui, c’est bien la transition qui est cadre général dans lequel s’inscrit notre réflexion.

Mais la dénomination que nous avons choisie pour la spécialisation de nos élèves ingénieurs de dernière année résume bien l’intention. On y comprend écologisation du développement comme le prône Dominique Bourg, éco-créativité comme s’en empare Jean-François Caron, le Maire de Loos En Goelle, écoterritoire quand même, comme, il y a 30 ans, Bio Vallée s’est baptisée, ce que nous verrons avec Didier Jouve, l’un de ses porteurs.

Pour nous, et nous vous soumettons l’idée, c’est ce choix de l’acronyme EcoTerr pour écoterritorialité parce que le préfixe « éco » y sous-entend la priorisation absolue de l’écologie compte-tenu d’un état d’urgence mais aussi la recherche d’une économie circulaire, collaborative, symbiotique, même, ce que n’indique pas forcément d’emblée la notion d’écologie territoriale. Ce ne sont pas là que des jeux sémantiques car le plus important pour nous, dans une grande école de la « santé globale », c’est de montrer comment l’on peut croiser dans un profil d’ingénieur sa connaissance de la biologie, celle de l’agronomie, celle du développement territorial pour tenter une hybridation conduisant, comme quelques auteurs le mettent en avant, à considérer les sociétés locales comme des écosystèmes, voire des biotopes et jusqu’à aller évoquer une « permaculture humaine ».

C’est donc pour cela que nous avons aussi besoin de croiser les regards avec nos intervenants et avec vous tous, parce qu’il faudra y convoquer l’économiste, le prospectiviste, le journaliste, l’artiste aussi… tous ceux capables de donner à comprendre, transversalement, les enjeux de la transition mais surtout de décrypter les futurs possibles et davantage encore de nous faire comprendre comment localement les communautés se les approprient, non dans le copié collé mais dans la continuité du sens, induit par le passé, parfois, pas toujours rompue par les crises, et pouvant s’incarner dans de nouveaux imaginaires comme le présentera Carine Dartiguepeyrou.

Si nous avons préparé avec le comité de pilotage, un programme permettant d’observer des expérimentations aux porteurs divers et en sollicitant vos réactions en ateliers, nous avons pensé qu’il convenait de débuter ce premier temps en prenant le recul nécessaire de la mise en contexte et de la recherche de sens. Tout d’abord en montrant pourquoi ces expériences nouvelles sont précieuses au regard d’une alarme planétaire d’atteinte aux ressources naturelles, de problèmes de qualité de vie, de santé globale… (Nicolas Buclet).

Il est, en effet, utile de s’interroger avec hauteur, mais sans arrogance, sur le rapport de l’homme à la nature et à ses ressources limitées, car la situation dans laquelle nous sommes naît du besoin progressif de l’homme occidental, s’individualisant avec Descartes, de se dissocier de l’état naturel, de remplacer le Nous par le Je et de ne plus sentir, comme l’homme préhistorique ou même le paysan du XIXème siècle, qu’il est dans l’ordre et l’harmonie du cosmos, l’étymologie de ce mot même signifiant justement le « monde ordonné ».

Prendre conscience de cette faille, de ce désordre que nous construisons et que nous accélérons, chercher à en reprendre le contrôle et à en résorber les effets dévastateurs à moyen terme, puis, avec partage, avec enthousiasme, avec optimisme, relever le défi de porter des imaginaires nouveaux, donnant la capabilité à inventer un nouveau rapport à la nature autant qu’à la notion du progrès humain, c’est finalement s’assurer de poursuivre l’aventure des civilisations sans obérer la vie, c’est le préalable, ambitieux mais non contradictoire, avec la petite musique des essais, des bonnes pratiques, des petits pas, dont nous donnerons les illustrations croisées. Il y faut de la créativité, la stimulation de nouveaux imaginaires pour demain, ce que Carine Dartiguepeyrou évoquera.